Avis de lecture : épisode 2

Dites moi docteur, c’est normal de préférer une semaine de vacance à une semaine de souffrance à laquelle nous ne renoncerions pour rien au monde?

Si la réponse reste en suspens, Piere Fliecx décrit avec acuité (dans son article paru ce mois dans le Figaro) la soif d’aventure des participants pour le marathon de l’extrême: le marathon des sables.

Ils ont surgi au sommet de la dune. La dernière. Solitaires, par deux ou en petits pelotons, tous la dévalent dans un ultime sprint. Mais la démarche trahit souvent une souffrance devenue quotidienne, venue de ces pieds mille fois maudits, abandonnés depuis longtemps aux ampoules et aux crevasses. Derniers mètres vers une ligne d’arrivée franchie avec le même étrange sourire extatique avant de s’abandonner, rires et pleurs mêlés, dans les bras de Patrick Bauer, l’organisateur. Gourdes, casquettes, sacs à dos et chaussures volent dans les airs dans la plus totale indifférence envers ce matériel pour lequel ils ont pourtant été aux petits soins toute la semaine. Ils l’ont fait! Ils sont allés au bout de cette 27e édition du Marathon des Sables. Seule la certitude de disputer la dernière étape en a porté beaucoup jusque-là, la sortie du Grand Erg oriental de Merzouga, le plus grand champ de dunes du Sud marocain. Et leur a permis d’évacuer cette lancinante petite musique qui leur a trotté dans la tête durant sept jours: «Qu’est-ce que je fais ici… mais qu’est-ce que je fais ici?»

Question légitime. Pourquoi venir souffrir une semaine durant dans le désert? Pourquoi courir sur près de 250 kilomètres (dont une étape de 81,5 kilomètres) dans le sable et les ergs caillouteux, escalader ou dévaler les pentes des djebels par 40 °C à l’ombre – mais ici, pas d’arbres… donc pas d’ombre! -, se nourrir de lyophilisé au pays des couscous, tajines et autres pastillas et dormir pratiquement à même le sol sous des tentes berbères ouvertes à tous vents à l’heure du all inclusive? Pourquoi affronter des tempêtes de sable ou de grêle (ils ont eu droit aux deux cette année), le prix de tous ces «plaisirs» – l’inscription – se montant tout de même à 2800 euros!

Mais c’est le Marathon des Sables. Le MDS, pour les «initiés». Magique, mythique, fascinant, incontournable aujourd’hui dans le monde de l’ultra-trail et des raids, qu’on se doit de faire figurer sur sa carte de visite. Respect garanti dans le monde entier. «En janvier 1984, raconte Patrick Bauer, je suis parti en expédition solitaire à travers le Sahara, 350 kilomètres en douze jours, avec mon eau et ma nourriture. A mon retour, j’ai organisé une projection pour 200 personnes à l’issue de laquelle plusieurs sont venues me voir. Ils voulaient faire la même chose. Voilà comment est née la première édition en mai 1986, avec 23 pionniers

Le désert est aujourd’hui le terrain de jeu qui fait le plus rêver

Au début des années 90, la barre des 200 concurrents est franchie. Elle grimpera à 400, 800 et même plus de 1 000, à l’occasion du 25e anniversaire en 2010. La participation, très franco-française à l’origine, s’internationalise. Cette année, on comptait, en plus d’un bon quart de Français et d’un autre quart d’Anglais (sur 854 concurrents au départ), 45 autres nations. Un peloton d’accros aux endomorphines, de forcenés du kilométrage illimité, qui abrite un éventail sociologique détonant. L’architecte côtoie la psychologue, le chef de restauration prend la foulée du directeur de banque, et le soir, au bivouac, on retrouve sous la même tente (de huit personnes) un guide de haute montagne, un plombier, un chercheur en biologie, une infirmière, un orthodontiste, un retraité de la restauration, un pompier et un soldat de l’US Navy.

 

La vitesse ne permet pas aux premiers de savourer la beauté du décor. Un luxe que les derniers s'offrent en rançon de leur souffrance.
La vitesse ne permet pas aux premiers de savourer la beauté du décor. Un luxe que les derniers s’offrent en rançon de leur souffrance.

 

Le Marathon des Sables doit son succès à deux phénomènes simultanés: l’explosion des courses longues distances, et une soif de nature qui a poussé nombre de coureurs à délaisser les city-marathons traditionnels, comme New York, Londres, Paris, Berlin ou Rome. Le MDS, pionnier de ce courant, s’est trouvé naturellement à ce croisement.

«Beaucoup de coureurs ont eu envie d’autres terrains de jeux, témoigne Patrick Bauer, et le désert est sans doute celui qui fait le plus rêver. Les coureurs ont besoin de tester leurs limites, s’étonnent souvent de leurs capacités et finissent par constater… que se faire du mal fait du bien. Ce qui explique le nombre élevé de «récidivistes», certains en étant à leur 15e, 20e, voire 25e participation!»

Pour Gloria, 42 ans, médecin responsable d’un service de 34 lits au Centre de médecine physique et de réadaptation (CMPR) de Bobigny, les motivations étaient bien arrêtées: «Née au Liban, où j’ai vécu jusqu’en 1995 avant de finir mes études de médecine à Paris, j’ai toujours fait du sport. Mais si l’on courait, c’était pour éviter les bombes. Le Marathon des Sables est le tremplin idéal du projet que je vais réaliser l’an prochain: relier Paris à Beyrouth pour la paix au Liban, soit 5 000 kilomètres. Je cherche encore des sponsors, mais le directeur du marathon de Paris m’a déjà proposé de m’élancer lors du départ de son marathon, en avril 2013.»

La confrontation avec ses limites, c’est la démarche de Sarah Mayer, 25 ans, coach sportif et instructeur de zumba (école colombienne de fitness) à l’île Maurice: «J’ai découvert des paysages fantastiques et des gens extraordinaires, mais je reconnais que c’est dur. Plus sur le plan mental et moral que physique. Alors c’est une énorme satisfaction d’aller au bout. Cela me servira dans ma pratique professionnelle.»

 

Arrivée, sous un orage de grêle, du concurrent non-voyant (à gauche) avec son binôme. Vents de sable, nuits glaciales, rien ne leur aura été épargné durant cette édition 2012.
Arrivée, sous un orage de grêle, du concurrent non-voyant (à gauche) avec son binôme. Vents de sable, nuits glaciales, rien ne leur aura été épargné durant cette édition 2012.

 

Emmanuel Geebelen, suisse et… horloger – ça ne s’invente pas! -, remonté comme un coucou dès que l’on évoque les raids longues distances, jette un regard émerveillé: «Le décor est somptueux, la convivialité et la solidarité entre concurrents, uniques. Il faudrait obliger les grands dirigeants du monde, au moins ceux du G20, à disputer le MDS. A leur retour, ils régleraient la plupart des problèmes de la planète…»

Ce qui a définitivement assuré la notoriété du MDS, c’est la sécurité, souvent «légère» dans ce type d’épreuves. Le dispositif médical mis en place par Frédéric Compagnon, le médecin urgentiste qui dirige l’équipe des Doc Trotters, est impressionnant et rassurant: «Médecins et infirmiers compris, nous sommes 44 sur le terrain. Pour la plupart, des médecins du sport avec la double compétence d’urgentistes. De même, pour les infirmiers, nous recrutons ceux qui ont l’habitude des structures d’urgence type Samu ou Smur.»

«On vient répondre à des questions qu’on ne se serait jamais posées»

 

Ici un concurrent tente de récupérer après l'ascension d'un djebel. Il sait qu'il lui reste...70 km pour rallier l'arrivée de cette étape.
Ici un concurrent tente de récupérer après l’ascension d’un djebel. Il sait qu’il lui reste…70 km pour rallier l’arrivée de cette étape.

 

Les pathologies les plus courantes concernent bien entendu les pieds (distance, chaleur, sable), avec plus de 800 ampoules traitées chaque jour. Pour les plus lourdes, deux hélicoptères basés en permanence au bivouac sont prêts à intervenir à tout moment pour rapatrier les blessés éventuels sur les hôpitaux les plus proches. Une bonne partie du travail est aussi réalisée en amont sur les dossiers envoyés par chaque participant (dont un électrocardiogramme récent et un test d’effort conseillé au-dessus de 40 ans) lors de son inscription. Au cœur de la course, Frédéric Compagnon, présent pour la 12e fois sur l’épreuve, analyse parfaitement le MDS: «On vient parfois ici pour régler des problèmes personnels. Ceux que j’appelle les pèlerins du désert, qui sont là à la suite d’une épreuve personnelle, qui peut être de santé ou un deuil. Ils ont souvent des photos de la personne qu’ils ont perdue sur leurs sacs. Nous avons même eu une année un coureur qui s’est baladé durant toute l’épreuve avec… l’urne funéraire d’un de ses copains dans son sac à dos! On ne sort pas forcément indemne non plus du Marathon des Sables, y compris nous, les médecins. Fatigue, sensibilité exacerbée, la vie en bivouac crée des souvenirs forts et le désert représente une rupture complète. Les coureurs, dans leur isolement, leur bulle, ont le temps d’évacuer beaucoup de choses, d’élaborer des pensées ou des réflexions, de répondre à des questions qu’ils ne s’étaient peut-être jamais posées. C’est pour cela que, psychologiquement, il est important d’être à l’arrivée.»

Ce qui explique l’atmosphère unique de cette dernière ligne droite…

 

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