Sur la tête de Madère

Par quel bout commencer ? Vous vous représentez 115 kilomètres et 7200 mètres de dénivelé positif ? Sommes-nous des fous ou tout simplement deux trailers qui ont la chance de vivre une aventure sportive hors norme ?

Arrivés sur Madère après un atterrissage au deuxième essai, à cause du vent, (l’aéroport fait partie des 5 plus dangereux au monde), nous sommes déjà dans l’ambiance. Ici tout se mérite, se contemple, la nature est maître du jeu et toi, tu dois t’adapter.

No problèmo, j’ai avec moi, Jorge, mon traducteur et une folle envie de se mesurer à ce légendaire MIUT. Légendaire, de part sa difficulté technique, il est surnommé la petite Diagonale des Fous ! Tiens mon tintin, ça tombe au poil, parce que nous la Diag on en rêve depuis 2 ans et on s’y colle en Octobre 🙂

Il est 11h, jeudi 26, le soleil brille et nous prenons en bus la direction de MACHICO, pour y poser nos valises. Cette petite anse accueille la ligne d’arrivée des différents formats : le 115, 85, le marathon et le mini.

Pour les badbornes, ce sera le balaise au goût fraise et au doux prénom de MI. Référence aux inconnus et blague qui nous fera bien rire pendant tout la course…MI-UT…MI-UT !

14h, restaurés, on s’attaque au retrait du dossard. Moment ludique, où tu contemples ton voisin…ses chaussures, son dernier tee-shirt de finisher.

Celui qui nous est offert est bien sympa et fera son plus bel effet le reste du séjour.On nous place la puce sur nos sacs respectifs de façon à bien être enregistrés à chaque passage de check-point.

19h it’s time to go to the pasta party ! Une ambiance de malade où carbonara et bolognaise chantent à tue-tête TI AMO TI AMO !!

On en profite pour faire un selfie avec l’organisateur du MIUT, Umberto Tozzi, ça mange pas de pain 😉

Repus, c’est la peau du ventre bien tendue que nous prenons la sage décision de nous éclipser, sans écouter le rappel d’Eros Ramazotti pour une seconde assiette de pasta.

Demain soir, une autre fiesta nous attend. Deux nuits blanches de teuf en perspective avec 900 tarés en mode warriors !

Alors, on se la joue “le marchand de sables est passé” pour envoyer du lourd en prévision..et qui veut voyager loin ménage sa monture ! Amis poètes bonsoir 😉

Vendredi 28, le soleil brille, le petit déjeuner est sublime. La journée se passe tranquillement. Matin: opération sac. C’est à dire préparation des affaires que nous laisserons à l’organisation et que nous retrouverons à deux endroits dans la course: au 60 ème kms et à l’arrivée. Stratégie importante pour gérer la réussite d’un ultra (choix des affaires de change, option d’une seconde paire de chaussure, nok pour les pieds , crème solaire, nourriture). Bref, une petite maison qui nous sera bien utile pour rejoindre l’arrivée.

Bien sûr, pendant la course, nous porterons sur notre dos l’essentiel : le matos obligatoire (portable, couverture de survie, deux frontales avec piles de rechange, pièce d’identité, rouleau de strap, barres énergétiques, 1 litre d’eau minimum, une lumière rouge visible de nuit, un gobelet) et le matos optionnel (un buff, mon doudou préféré, une raquette de tennis, et les photos de Ronaldo et Linda de Souza pour sympathiser avec les locaux !).

Une dernier selfie en arrière de la ligne d’arrivée, celle que tous les partants de ce MIUT rêvent de traverser sans défaillir samedi (14 heures pour les élites: des machines !!!!) ou bien dimanche avant 8 heures du matin pour les derniers de la classe !

20h, on est au taquet ! Prêts au combat ! Les SMS d’encouragement et les likes sur FB nous motivent encore plus. Vous êtes loin de nous, mais je peux vous dire que ça fait du bien de se sentir suivis, soutenus. Nous sommes conscients de la chance que nous avons de vivre ce moment et croyez bien qu’on va rien lâcher !

21h nous grimpons dans le bus, direction PORTO MONIZ au nord de l’île pour prendre le départ qui sera donné à minuit. 22h, il fait frisquet une petite dizaine de degrés et on trouve refuge dans un bistrot pour patienter au chaud en sirotant un coca.

Fidèles à notre stratégie de départ, on vient se placer bon dernier. Le départ se fait au son de HIGHWAY THE HELL d’ACDC autant vous dire qu’il faut pas trop nous chercher sur cette chanson (hymne du MDS). Les premiers pas se font donc en hochant la tête et sous les encouragements d’une foule nombreuse qui nous acclament jusqu’à la sortie de la ville.

500 mètres de plat et biiiiim un mur se dresse immédiatement devant nous : 400 de D+. Cà commence à respirer fort autour de nous, Jorge à les cannes et mène le bal. Ça roule, on grimpe nos premières marches, on redouble, et on regrimpe des marches qui nous suivront sur tout le parcours. Alors il faut savoir que la marche de Madère possède différents styles : du simple rondin de bois à la marche en dur cimentée ornée de pierre. C’est très joli mais au bout de la millième tu gémis !

Ici, la marche est soit : ta meilleure amie ou ton pire ennemi. Façonnée à la trouelle par une bande d’un groupe d’oultras portougais, elle est omniprésente! Mais pourquoi une telle ferveur ? Même dans les endroits les plus inaccessibles, tu les retrouves. Autant vous dire, que sans une bonne préparation cet ultra te lamine les quadris, te brise tes petits mollets et te destroye tes hanches en petites lamelles de façon à ce que ta démarche ne ressemble plus qu’à un pantin désarticulé !

Après 2h50 de course, nous atteignons le premier ravito. On a pas chômé dans la montée, et on a seulement qu’une trentaine de minutes sur la barrière horaire. ouuucchhh ! va pas falloir s’endormir ! Avec l’altitude, la température a bien baissé. Il vente et commence à pleuvoir. La boue est présente et rend glissante et technique les descentes. Nous, on s’éclate et on remonte au classement. On est 600 ème puis 500 ème après une belle descente à bloc. Le moral est au plus haut.

Des odeurs d’eucalyptus envahissent nos narines, il fait nuit mais on imagine bien la végétation qui nous entoure.Trop bien.

Les ravitos s’enchainent et la météo se dégrade de plus en plus: vent et pluie à gogo. Punaise, ça meule grave. Nous arrivons trempés de la tête au pied au ravito d’Estanquihos.

400èmes à ce moment là, une tente abrite l’endroit où tout le monde apparaît bien éprouvé et surtout transit par le froid: 5°C. Un parasol chauffant devient un point d’aglutinement de petites fourmis qui n’en mènent pas large. 28 kms de course en 6 heures de temps. Çà calme. Mais bon le terrain ne te laisse pas une seconde de répis. Racines, rondins, boues, obscurité, bref la totale pour se vriller une cheville voire deux 🙂

Heureusement, le lever du soleil se rapproche. Il est temps car la frontale commence à faiblir et l’humidité ambiante rend la visibilité du terrain plus que réduite.

Musculairement ? Je suis ko. Jorge assure grave et garde un super tempo. Mes quadris sont trempés et crampés. J’en tremble tellement je crampe. Pas un moment facile à gérer, surtout que le chemin est encore long. Je me dis que la journée va être laborieuse. Jorge me rassure en disant que ça va passer. Alors je bois, mange comme un ogre. C’est bon signe, tout passe, mais les crampettes s’acrochent telles des morpions. Alors, dans une énième montée ponctuée de rondins pour changer, je mets le clignotant à gauche et me pose pour laisser mes muscles souffler.

Jorge est devant, et je vois doucement le flot de coureurs me dépasser en me regardant. Je suis cuitos. Touché le bonhomme. Et là, un petit miracle, un trailer portugais s’arrête pour me demander si ça va? On baragouine en anglais, et je lui raconte que mes quadriceps sont HS. Il me propose des cachetons de magnésium. Miracle. Je te les avale ni une ni deux et le remercie pour son geste. Je n’aurai pas l’occasion de le revoir mais son aide à ce moment là de la course m’a été précieuse et me servira de leçons pour la prochaine fois: du magnésium tu apporteras !

Remis en selle, je galope pour rejoindre vite mon compagnon et nous poursuivons notre périple. Le jour s’est levé, les coureurs du 85 se joignent maintenant à notre parcours. Pas top, car on se fait doubler par des fusées. Objectif du matin: rejoindre Curral das Friras et sa base de vie pour retrouver nos sacs de change. On s’imagine déjà sous la douche bien chaude puis avec des habits secs !

Le plan de base espéré était d’arriver à midi, nous y sommes à midi quinze. J’adore quand un plan se déroule sans accroc !

60 bornes et 4500 de D+ avalés! Yeaaahhh baby ! On a bien cavalé malgré des quadriceps qui ont bien jonglé. Douche, pas de massage faute de masseurs, repas chaud, on stoppe une heure pour se refaire la cerise avant d’attaquer le gros morceau de la course: un bloc de 1500 D+ en à peine 10 bornes.

Devant nous un mur de végétation. La célèbre montée de PICO RUIVO. Celle où tu y laisse tes poumons, ta hanche et ton cerveau avant d’atteindre un des points culminant de l’île à 1800 mètres.

Comment vous dire, nous sommes partis 900 au départ il en restera 496 à la fin. 55% de finishers !

Alors, on avance pas après pas et on remonte encore et encore.

346ème au col, on gère notre avance sur la barrière horaire, entre 2h30 et 3 heures. On en prend plein les yeux, la vue est à tomber. Sauvage, vertigineuse, nous empruntons des sentiers à même la falaise avec des à pics de malade à gauche et à droite, traversons des tunnels improbables dans des parois rocheuses, des escaliers métalliques, passerelles.
La totale.

Madère tu es belle, quel pied! Notre progression reste lente car le terrain est toujours difficile. La raison principale : la marche de Madère.

Celle qui te ruine les articulations à feu doux !

Nous arrivons enfin à l’observatoire de PICO DE AREEIRO (boule blanche sur la photo)

70 kilomètres de course, 18h20 de course. Le moral est au beau fixe. On grappille toujours des places malgré la fatigue
qui commence à bien s’installer. Il nous reste environ deux heures avant que le soleil ne se couche.

On remet le moteur en marche dans une descente et on trouve la force d’accélérer pour rejoindre un nouveau chekpoint. Il nous reste environ une dernière grimpette (600 de D+) pour 35 kms.

Les rativos bien fournis, commencent pourtant à devenir un peu écoeurant, alors on s’accroche à l’aliment qui continue de bien passer. Je vais démonter les chips et les cacahouettes. La soupe devient également notre meilleure amie. Certainement, car notre démarche ressemble de plus en plus à la denrée de la soupe aux choux 🙂

Cette fin d’ultra qui s’annonçait roulante sur le papier va petit à petit devenir une torture physique et mentale. Après avoir donné un dernier coup de collier, dans une descente épique où on a kiffé rejoindre le 100 ème kilomètre. Le moteur va doucement s’arrêter. Là où d’habitude nous arrivons à doubler jusqu’à la fin, les quinze derniers kilomètres pourtant bel et bien roulants (enfin à la sauce Madère avec je te mets une descente à pic où tu t’accroches aux arbres pour ne pas t’éclater le museau sur un rocher) se feront en marchant.

Et vous l’imaginez bien, 15 bornes en marchant à 4km/h, c’est long, très long. Tu te projettes sur la ligne d’arrivée, que tu imagines franchir, puis tentes de deviner au loin en voyant les petits point de frontales des autres la distance qu’il te reste à parcourir. “Non c’est pas possible, il nous font passer par là !!!”.

Au menu: bordure de falaises de nuit baignées au son de l’océan et ses levadas interminables (canaux d’irrigations fameux de Madère).

Pour nous, c’est l’indigestion. La faim fin est belle mais cruelle si tu manques de jus.

On se fait doubler par paquet, on fulmine car habituellement c’est nous qui fustigeons à ce moment là de la course. Peine perdue, nous prenons acte et nous avouons que notre préparation pour cet ultra était certainement un peu juste.

Mais que d’enseignement pour notre objectif de l’année ! On a découvert un terrain hautement technique, typique de ce qui nous attend à la Réunion et nous avons répondu présent dans l’adversité. Notre force : ne rien lâcher ensemble. Un mental d’acier même si le physique n’est pas au rendez vous et malgré des conditions météos qui piquent.

27H45 de course, il est 3h45 du mat. On savoure. On l’a fait. Les badbornes sont finishers du MIUT.

Un coureur sur deux sont restés sur le carreau mais notre duo franchit ensemble cette nouvelle marche.

Madère, on a kiffé tes paysages. Tu as ruiné nos muscles. Impossible pour moi, de laver mes pieds sous la douche qui suivra, trop loin 🙂

Notre fin de séjour, nous permettra de savourer cette île aux facettes incroyables. Les petites ruelles de FUNCHAL, son marché aux fleurs, sa bière CORAL, ses tapas.

Surlatêtedemadère, nous reviendrons te voir un jour !

Retour en haut