LA DIAGONALE DES FOUS 2018

Vendredi 2 novembre, 0h20, je squatte l’écran de mon ordinateur. Je sais, il est tard. Mais, je n’ai pas sommeil. Et, le compte rendu ? Et ce retour, grand fou, tu vas le pondre quand ?

La médaille est là. Je la contemple chaque jour depuis que nous sommes rentrés. Nous avons bouclé cette aventure à 5. Vécu ce qui sera comme une de mes plus belles expériences sportives.

Cette course qui me faisait rêver depuis tant d’années. Celle qui animait chacune de mes sorties depuis quelques mois. Nous avons profité sur l’échiquier, sacrifié aucun de nos pions et mené notre fou au bout de la diagonale.

Cette aventure entre potes a su m’apporter ce que j’étais parti chercher. Un accomplissement solidaire. Comme une sorte d’accouchement mais entre mecs. Beuuurkkkk ! Quand je suis content, je vomi.

Cette parenthèse intense nous a offert à tous des moments de complicité que nous n’oublierons pas de sitôt.

Je nous revois quitter Sans Souci ce samedi 20 octobre, après 39 heures de course, accompagné de Gilou.

Il a le sourire aux lèvres, et nous aussi.

Notre périple vient de basculer bizarrement dans une douce randonnée. 

Nous profitons. On se marre. Je filme ces instants avec délectation. Nos muscles sont encore en forme. Il fait chaud et humide. Le parcours emprunte des quartiers animés. On nous acclame en héros. Les gamins nous offrent de l’eau. On est bien. Gilou remonte souvent à ma hauteur pour me faire partager sa joie.

Punaise, il est en train de se manger 1000D+ et 18 bornes sur le parcours du Grand Raid. Il réalise ce que nous sommes en train d’accomplir. Je le sais, je le vois dans son regard, il devine déjà que nous allons devenir finishers.

Samedi 20 octobre, 6 heures du mat, nous arrivons exténués à Roche Plate.

Dernier poste de ravitaillement, avant d’attaquer le Maïdo, une espèce de mur infranchissable sorti tout droit du seigneur des anneaux. La porte de sortie du cirque de Mafate. Une deuxième nuit blanche pour ma pomme. Et ce, malgré l’arrêt d’une heure sur un tapis d’épines au beau milieu des bois. Jorge dormira comme une souche, pendant que je me contenterais de fermer les yeux ou de compter les frontales défilées sur le sentier.

Je vais connaître mon seul temps de sommeil sous une tente à Roche Platte. Suffisamment, pour se refaire la cerise avant d’attaquer le gros morceau du gâteau : le Maïdo à triple étages.

Pas d’étouffement, ni d’écoeurement. On va se le becter grave ce raidillon ! Notre rythme nous permet encore de doubler. Ti pas Ti pas Mi avance !

Et puis, arrive ce moment si particulier. Cet instant magique qui me fait tellement aimer l’ultra trail.

Pat est descendu à notre rencontre. Il se dresse quelques mètres plus haut devant nous et affiche un large sourire. Avec la fatigue, j’ai l’impression de redécouvrir son visage. Nos regards se croisent, nos paroles deviennent hésitantes, nos yeux s’humidifient. Nous voilà plantés, là, tous les trois avec la même émotion.

La joie de se revoir après une nuit a arpenté les sentiers composés de pierres et racines, sans nouvelles pour nos potes, et avec abnégation de notre côté. Les larmes viennent lavées cet effort. Cette douce retrouvaille renforce notre vigueur matinale.

Quel bonheur, de vivre ces instants.

Après avoir parcouru le boulevard de Saint Pierre sous un tonnerre d’applaudissements, entendu ma douce prononcer une demande en mariage à Marla, passer deux nuits presque blanches, nous sortons du Maïdo en vainqueurs après avoir déjà terrassé 103 kilomètres et 7700D+.

La foule amassée à la sortie du col, interpelle nos prénoms inscrits sur le dossard. C’est trop bon. Jorge lève les bras devant moi. Nous profitons de notre moment de gloire…même si le stade de la Redoute est encore loin.

La Diagonale nous pousse dans nos derniers retranchements, elle va mettre en exergue ce qu’il y a de meilleur en nous, dans les bons et les pires moments.

Samedi 20 octobre, 23H46, nous avançons tels des zombies sur le chemin des anglais. Le genou droit de Jorge le fait souffrir. J’ai la tête qui va exploser. Je me sens fiévreux. Il fait une chaleur à tomber. Le duo en a pris un coup sur la casquette. Notre vitesse de croisière flirte avec les 3 km/heure. Pat a relayé Gilou à la Possession. Il nous encourage et nous réconforte.

Puis, envoie un sms lapidaire : ça n’avance plus !

Je crampe dans la dernière montée pour rejoindre le Colorado. C’est le sommet qui nous permet de basculer sur Saint-Denis. La dernière cote. Le dernier effort. Jorge et Pat s’embrouillent dans les chiffres : 166 de D+!?! il reste plus que 166 de D+?!?. 

Une soit disant montée douce qui va durer plus de deux heures. Tout semble plus long à la fin d’un ultra.

J’essaye de contenir mes ischios qui tentent de partir en vrille. Notre cohorte avance lentement. Mais, elle avance. Et puis, je me retrouve à marcher sur des petits visages !??

Des têtes d’enfants, des rois barbus de profil comme sur les  pièces de monnaie.????

Je ferme les yeux, ils sont toujours là. Ils jalonnent le sol. Moi, qui me marrait quand Manu nous avait raconté sa vison d’un camion de pizza lors de son premier grand raid. Mon halucination est finalement plus sobre. Mais, pendant une quinzaine de minutes, elle a pimentée mon avancée pour rejoindre le dernier ravito. Une drôle d’expérience.Qui fait un peu flipper je vous l’avoue.

Finir la diagonale à deux, c’était le défi dans lequel nous nous étions lancés.

La dernière descente va couronner notre binôme. On atteint le stade de la Redoute entamé mais pas détruit. La preuve, nous arrivons facilement à trottiner le dernier tour de piste. Bon, ok on aurait pas taper un 400 mètres à fond de ballon, mais en comparaison de notre final quelques mois plus tôt sur le MIUT : c’est le jour et la nuit.

Dimanche 21 octobre, il est 4h10. Une nouvelle fois, Pat s’est discrètement retiré pour nous laisser savourer ce final. Avec Jorge, mous marchons et bavardons à l’approche du stade.

Juste le temps de réaliser ce qui nous arrive. Nous rentrons dans l’arène. Fernand nous interpelle, dans sa couverture de survie, un check et nous continuons vers la ligne d’arrivée. Une accolade avec les potes : Gilou, Stéph.

Nous trottinons. Nos mains se rejoignent enfin. Nous avons survécu.

Nous saluons nos proches qui veillent encore sur nous. Il est tard en France et déjà tôt à la réunion. Gros Bill exulte à sa façon.

Bizarrement, un vide m’envahit un instant.

Nous dégustons autour d’un rougail saucisse, prenons en photo Johnny (un suédois fort sympathique rencontré pendant la course avec sa compagne Ellen, tous les deux finishers ) qui dort sur la pelouse du stade. Les masseurs sont partis. Direction le gite pour profiter de quelques heures de sommeil et d’une bonne douche pour récupérer en partie de cette longue diagonale.

54 heures de course…des rencontres humaines…Aliette et Jean-Pierre, Sandrine et Manu, Chantal et Michel, Serge, Eve et Ted, Ti Fred, Johnny et Ellen, Fernand et sa bande…

Nous avons vécu intensément notre séjour à la Réunion.

Profiter. Partager. Entre potes. J’aime cette photo qui résume ce que nous venons de vivre. Il est environ 6 heures du matin. La Diag vient de s’achever. Notre fatigue se lit sur nos visages. Mais nos yeux pétillent encore. C’est un SELFOU.

Il y aura un avant et un après Grand Raid 2018. Nous sommes des Fous épanouis.

Un résumé vidéo (en 3 minutes) intense de ce que nous avons vécu pendant 54 heures..un condensé d’émotions !

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